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Edification du Monument aux Morts

(Texte rédigé par Jacques BLIN et publié dans son livre "Cette 1914 1918")

 

La décision de sa construction fut prise, au lendemain de l’Armistice, lors du Conseil Municipal du 29 novembre 1918. A cet effet un Comité fut créé, présidé par le Maire, les membres du Conseil municipal et des personnalités et notabilités appartenant à tous les milieux de la ville. Le rôle de ce Comité : organiser une vaste souscription qui s’adressa « Ã  toutes les classes depuis l’ouvrier jusqu’au bien riche Â».  Rechercher l’emplacement et choisir l’artiste à qui sera confiée l’exécution de ce monument. Le Conseil approuva cette proposition et décida que la ville souscrira aussi et que sa participation sera plus ou moins élevée suivant les résultats donnés par la souscription.

L’année 1919 s’étire, le Conseil municipal du 6 septembre 1919, nous apprend que des personnes sont venues à Sète pour suivre l’avancée du dossier du monument et qu’il faut les défrayer de leurs frais de déplacement.

Le 27 novembre 1920 le Conseil municipal est informé des modalités de la participation de l’Etat aux dépenses d’érection du Monument aux morts pour la Patrie.

D’un côté des morts, de l’autre un discours comptable qui ne s’invente pas, donc qui mérite d’être reproduit tel quel :

« Les subventions accordées, par l’état aux communes par application de l’article 5 de la loi du 25 octobre 1919, en vue de glorifier les héros de la grande guerre, seront calculées d’après les barèmes ci-après ; en raison du nombre de Combattants nés où résidants dans la Commune qui seront morts pour la Patrie. Comparé au nombre des habitants de la Commune déterminé par le recensement de 1911, et en raison même de la valeur du centime Communal démographique de l’année où la subvention est accordée.

Ces barèmes sont au nombre de deux :

Le 1er détermine le coefficient de la subvention complémentaire de l’Etat d’après les crédits inscrits à son budget et par rapport au nombre de morts, comparé à la population de 1914.

Le 2ème détermine le coefficient de la subvention complémentaire de l’Etat d’après les crédits inscrits à son budget, et par rapport à la valeur du centime communal.

Pour la ville de Cette, le nombre de morts pour la Patrie est à l’heure actuelle de 710, mais il convient  de pousser ce chiffre à 800, pour établir un chiffre approximatif, car il nous arrive tous les jours encore des modifications concernant des militaires portés disparus et dont le décès devient constant.

La population déterminée d’après le recensement de 1911 est de 33.049 habitants, elle n’a guère changée en 1914.

Le pourcentage des soldats morts au champ d’honneur est donc de 2 et demi environ par Cent habitants.

La valeur du centime communal de 1921 (puisque d’après le barème il faut prendre la valeur du centime communal de l’année où la subvention sera accordée) sera d’après nos prévisions de 5 centimes 97.

Il y a donc lieu pour le Conseil Municipal de demander à Monsieur le Ministre de l’intérieur que soit allouée à Cette la subvention basée sur les barèmes indiqués dans sa circulaire du 18 août 1920, pour participation de l’Etat aux dépenses de la Commune pour l’érection du monument aux Cettois Morts pour la France, et conformément à l’article 81 de la loi du 31 juillet 1920.

Le Conseil adopte. Â».

 

C’est l’occasion pour un conseiller, Monsieur Bousquet, de demander où en est « l’affaire du projet d’érection du monument. Â» ? Il lui est répondu que le décret d’hommage public vient d’être expédié à la Préfecture.

L’adoption des soumissions, plans et devis du statuaire, sera faite au Conseil municipal du 21 janvier 1921 et le choix de l’artiste, Monsieur Roussel Marius, le 8 avril 1921. Un délai de 8 mois est avancé pour la réalisation de l’œuvre.

Le temps s’écoule, et nous retrouvons trace du monument dans les délibérations du Conseil municipal du 19 février 1923. Par courrier du 6 février, M. Roussel a sollicité de l’administration et du Conseil municipal un acompte de 15.000 frs à valoir sur un solde de 45.000 frs qui lui reste dû. Il demande cet acompte pour lui permettre de faire face aux frais importants de la mise en place, au château d’eau, de son œuvre, ainsi qu’aux frais de transport par bateau et aux droits de douanes.

On apprend ainsi que le monument est arrivé à Cette le 28 janvier 1923 et qu’il en a coûté 125.000 francs à la ville.

Le Conseil municipal considérant que le monument était rendu à son piédestal, que les derniers préparatifs de son installation se poursuivaient activement et que l’inauguration était proche, donna son accord pour régler l’acompte demandé.

 

Qualifiée de proche en février, l’inauguration du monument aura finalement lieu le dimanche 12 août 1923.

La veille, un communiqué parut dans le petit méridional, invitait les différentes sociétés à se préparer à l’inauguration.

 

Le petit méridional rendra largement compte dans son édition du lundi 13 août des différents discours qui furent prononcés à cette occasion.   Une photo du monument se plaçait au centre de la première page du journal.

 

Le monument aux morts du Château d’eau, est l’œuvre du Sétois Marius Roussel, né en 1874.

 

« Les morts pour la France – La Ville de Cette glorifie le souvenir de ses enfants Â» C’est sous ce titre que le journal va rendre compte des différents discours prononcés à l’occasion de cette inauguration.

Tout d’abord, c’est M. Laurens, ancien Maire et président du Comité qui a été à l’origine de l’érection du monument, de prendre la parole :

« Il vous appartiendra Monsieur le Maire, vous qui personnifiez la cité, de dégager les grandes pensées que fait naître ce marbre et de glorifier nos enfants. Vous ne m’en voudrez pas cependant si, dans la solennité de cette cérémonie, tant de souvenirs remués reviennent avec une obsédante, une implacable précision. Avec eux revivent les heures douloureuses que nous avons tous vécues, chacun dans le champ d’action où la destinée nous avait placés. (…) Â»

Il se revoyait certainement en séance du Conseil municipal, détachant un à un les noms des Cettois morts dans cette affreuse guerre. Il continua par ces mots si justes :

« Pourrons-nous chasser de nos mémoires, ces tristes journées où nous parvenaient des avis de décès ou de disparition ? C’étaient de minces feuillets qui portaient un nom, une date, un numéro de régiment. Tous se terminaient par cette courte phrase dont la brièveté même augmentait la grandeur tragique « Mort pour la France Â». 1914-1918 ! L’agression, la Victoire !..»

A partir de ces mots, il fit un long rappel des moments vécus par le Conseil municipal et la population, la décision du monument, etc… Il conclura son hommage par ces mots :

« Monsieur le Maire, je remets ce monument à la Ville, convaincu qu’elle en sera la gardienne pieuse et fidèle.

Il symbolisera aux yeux de nos descendants les grandes et sévères leçons du passé, et dans ce beau site du Château d’eau, notre ciel éblouissant de lumière, lui fera une auréole digne de nos grands morts. Â»

Honoré Euzet,  prendra ensuite la parole, il remercia le Comité pour son action et adressera différents messages aux autorités présentes. Il entra dans un propos plus personnel par ces mots :

«  On a dit que les guerres de la révolution avaient ennobli la nation française. Mais on peut dire aussi justement que la guerre injuste que nous dûmes subir durant cinq années a confirmé à la nation française ses titres de noblesse qu’après plus d’un siècle écoulé certains osaient lui  contester (...) Â» Plus loin il ajoutera « Mais il ne faut pas que la Victoire tourne en glorification chauvine. Aussi devant ce monument funéraire, au nom des veuves, des orphelins, des mères, des pères si éprouvé, je crie mon horreur de la guerre (…) Nous avons reçu le bienfait de la souffrance, sachons en profiter, restons unis, travaillons, en nous consacrant au progrès social (…) Â»

M. Lafargue parlera ensuite au nom des médaillés militaires, mais son discours ne fut pas retenu par le journal qui mentionne simplement son intervention. Le docteur Crémieux, adjoint au Maire prononcera ensuite un discours, au nom de la Section cantonale des Pupilles de la Nation et de l’Association des Officiers de complément de la Ville de Cette. Discours très long, mais qui n’apporte aucun élément particulier, son contenu se résume dans sa conclusion :

« Honneur et gloire à nos héros immortels, au noms de leurs enfants, au nom de leurs compagnons d’armes, je salue leur mémoire ! Martyres de la Liberté, ils sont dignes de la gloire impérissable de leurs aïeux ! Â»

C’est ensuite le Général Martin qui prendra la parole, il représente le Général Deville qui était retenu, par les devoirs de sa charge, au camp du Larzac. Ce fut aussi un long discours plein d’emphase et de références militaires. Sa conclusion :

« Que ce monument élevé au cÅ“ur de votre ville reste donc pour vous un but de pieux pèlerinage (…) Allons-y en tout temps, communier avec nos morts dans l’amour de la Patrie, y trouver la force de nous sacrifier à sa grandeur, afin que s’il en était un jour besoin, nous sachions nous aussi mourir – comme ils sont morts ! Â»

Suivant le protocole, il reviendra au sénateur de l’Hérault, Mario Roustan, de clôturer la série de discours. Le sien fut très long, nous en retiendrons deux aspects, le premier c’est qu’il fut émaillé de poèmes que nous reproduirons, et le second concerne ce passage :

« (…) Je ne suis pas de ceux qui, au pied des monuments aux morts, viennent faire exprimer par les poilus tombés au champ d’honneur, une opinion sur l’occupation de la Ruhr, sur les réparations, ou sur les garanties. Nous n’avons qu’un droit et qu’un devoir, lorsque nous les faisons parler ; c’est de reproduire avec une fidélité scrupuleuse, ce qu’ils ont dit, ce qu’ils ont écrit, eux qui avant tout ont affirmé qu’ils mouraient pour que cette guerre fut la dernière, et auxquels nous manquons de respect lorsque nous leur prêtons des vues prophétiques destinées à appuyer notre opinion quelle qu’elle soit (…) Â»

 

Si le propos semble grandiose, voire grandiloquent, sur le fond il sonne creux et n’engage le Sénateur sur rien.

Voyons les poèmes. Ils sont utilisés en un amalgame qui mêle La Marseillaise de Rude, sculpture au bas de l’Arc de triomphe

« Le bras droit armé du glaive et tendu vers la frontière Â». Mais les premiers vers cités ne sont pas de La Marseillaise, ils sont extraits du Chant du départ :

 

Tremblez ennemis de la France,

Rois nés de sang et d’orgueil,

Le peuple souverain s’avance

 

Est-ce une coquille du journaliste, une citation réelle de Roustan ? Nous n’avons trouvé nulle part les vers cités ainsi « Rois nés de sang et d’orgueil Â» mais ceux que nous avons l’habitude de chanter « Rois ivres de sang et d’orgueil Â».

Roustan continue avec verve, à partir de son image de La Marseillaise de Rude : « Le bras gauche montre l’immensité du ciel ; la Marianne de Rude qui, la bouche grande ouverte, clame l’appel retentissant Â» Cette fois l’on revient aux paroles de La Marseillaise :

« Amour sacré de la patrie,

Conduis, soutiens nos bras vengeurs,

Liberté, liberté chérie,

Combats avec tes défenseurs. Â»

 

Evoquant différentes étapes de la guerre il est repris par le lyrisme et déclare « depuis de longs mois, l’enthousiasme était tari dans ses sources, quand un jeune méridional, dont la Muse avait baisé le front, faisait entendre cette prière désolée. Â»

 

Du plus profond de la tranchée,

Nous élevons les mains vers vous,

Seigneur ! Ayez pitié de nous,

Et de notre âme desséchée !

 

Car plus encor que notre chair,

Notre âme est lasse et sans courage,

Sur nous s’est abattu l’orage

Des eaux, de la flamme et du fer.

 

Vous nous voyez couvert de boue,

Déchirés, hâves et rendus…

Mais nos cÅ“urs, les avez-vous vus ?

Et faut-il, mon Dieu, qu’on l’avoue ?

 

Nous sommes si privés d’espoir,

La paix est toujours si lointaine,

Que parfois nous savons à peine,

Ou se trouve notre devoir.

Eclairez-nous, dans ce marasme,

Réconfortez-nous, et chassez

L’angoisse des cÅ“urs harassés ;

Ah ! rendez-nous l’enthousiasme ! Â»

 

Après ce poème qui exprime le doute et le désarroi d’un poilu qu’un obus anéantira entre Souchez et le Cabaret-Rouge (précisions apportées par Roustan lui-même). Le sénateur enchaîne sur un autre poème  qui glorifie la Victoire :

 

« Victoire, déesse immortelle,

De qui tous les dieux sont jaloux,

Tu m’apparais encore plus belle

Lorsque tu te montres à nous.

 

Avec l’héroïque visage

Où, graves, nous reconnaissons,

La fraternelle et sainte image

Les morts d’hier que nous pleurons,

 

Et qui, des trois couleurs de la France,

O Victoire, ont tissé pour toi

Avec leur sang et leur souffrance,

Avec leur espoir et leur foi.

 

Ce manteau que ta chair meurtrie

Porte sur ton flanc déchiré

Et dont à genoux, la Patrie,

Embrasse le lambeau sacré !

Ces vers ne sont attribués à personne, sont-ils de Roustan ? Mystère, ils sont placés au centre d’un discours d’érudit.

 

Mais après ce discours que l’on croyait clore une cérémonie protocolaire, la parole fut  donnée au curé-doyen Escande. Celui-ci remercia le Maire de l’avoir, dans un esprit de large tolérance, associé « Ã  cette belle manifestation d’Union Sacrée Â».

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